Leffonds

Maquis de Leffonds.

Maquis de Leffonds "le témoignage de Marcel Thivet."

Parachutage de Leffonds par Marcel Thivet

Thivet 001« C’est vers le milieu du mois de mai 1944, sans pouvoir préciser la date exacte, que j’ai reçu la visite de mon très bon camarade Hubert Aubry, accompagné d’un jeune homme qu’il m’a présenté sous le nom de « André le Suisse ». Hubert m’a fait part de sa volonté de reprendre la lutte contre les Allemands et il m’a demandé si je voulais l’aider à constituer un maquis à Leffonds. J’ai accepté aussitôt et il m’a parlé d’un parachutage possible dans la région. Tous trois, nous avons commencé la recherche d’un terrain. D’un commun accord, notre choix s’est arrêté sur une assez grande parcelle située entre le hameau de Mormant et le bois du même nom, territoire de Leffonds. Bien entendu la visite de Hubert et de son ami s’est déroulée dans la plus grande discrétion à l’insu des habitants du village. Hubert m’a dit le lendemain qu’il repartait pour la Suisse pour obtenir un parachutage par l’intermédiaire du Consulat Britannique.
Hubert et André le Suisse sont revenus au village le 25 mai 1944. Je les ai hébergés dans une maison appartenant à mes parents et où j’avais ma chambre. Hubert m’a alors confirmé qu’il avait obtenu un parachutage pour le 29 mai, vers 23 heures. Il m’a expliqué les opérations à effectuer pour réceptionner les containers. Comme à l’époque les lampes électriques de poche et surtout les piles étaient presque introuvables, il avait apporté avec lui quatre petites lampes rondes. Il m’avait demandé de trouver quelques camarades en qui on pouvait avoir toute confiance. J’ai donc contacté trois jeunes gens du village : Robert Devilliers, Georges Mathieu et René Hacquin, instituteur au village. J’étais chargé d’écouter la radio de Londres et particulièrement les messages personnels. Celui qui nous concernait était : « Hubert ira à la pêche ce soir. » Le 29 mai, j’ai donc entendu le fameux message.
Aussitôt j’en ai avisé Hubert qui m’a dit : « C’est pour ce soir. »

Vers 20 h 30, à travers champs, nous nous sommes rendus au lieu prévu, individuellement. Nous étions six. Un orage a éclaté vers 23 heures. Nous avons fait les signaux convenus : 3 lampes allumées et formation de la lettre K en morse par Hubert lorsque nous avons entendu un avion, mais en raison probablement des nuages assez bas, il n’a pu nous repérer. Notre attente s’est poursuivie jusqu’à 2 heures du matin, mais en vain. Le lendemain, aucun message de Londres. Pas davantage le 31. Toutefois nous nous rendions sur le terrain. Le 1er juin, le message : « Hubert ira à la pêche ce soir » court à nouveau sur les ondes.

Le départ est prévu pour 21 h 30, mais les camarades des jours précédents, découragés et n’y croyant plus, refusent de venir. Nous ne sommes plus que trois. Hubert, André le Suisse et moi. La fatigue des nuits précédentes se fait sentir, tous les déplacements s’effectuant à pied. Hubert décide d'abandonner le terrain homologué, trop loin, et de se rendre au lieu-dit « Derrière le Bois Moyen », territoire de Leffonds, à environ 1 km du village et 3 km du terrain de Mormant. Sur place les dispositions sont prises. Comme nous ne sommes plus que trois, une première lampe, allumée, est placée au sol calée par des pierres ; une deuxième est tenue par André le Suisse, la troisième par moi et la quatrième par Hubert, suivant le dispositif prévu, soit trois lampes en lignes espacées de 80 à 100 m, et la quatrième à environ 15 m de la troisième, en équerre. La lettre code retenue, le K (trait-point-trait) doit être transmise par Hubert, lampe n° 4. Toutes les lampes sont blanches. Hubert m’avait expliqué que la première chose à faire aussitôt les « colis » arrivés au sol était de décrocher les parachutes et de les rouler.

Vers 23 heures nous entendons un avion qui approche mais à haute altitude, et à notre grande déception, il s’éloigne.

Vers 23 h 30, nouvelle alerte et il semble, que cette fois, ce soit la bonne, Le bruit des moteurs s’amplifie et un gros appareil passe au-dessus de nous. Hubert transmet le code. L’avion vire à gauche et se présente à nouveau à assez basse altitude.

Tout à coup nous voyons les corolles de parachutes ; huit soutenant chacun un « colis » qui descendent lentement vers le sol. L’avion vire à nouveau et au cours d’un autre passage largue encore huit parachutes. Nous ne bougeons toujours pas lorsque l’appareil passe une dernière fois sans rien lâcher et s’éloigne.

Aussitôt, dans l’obscurité, nous nous précipitons pour décrocher les parachutes. Au troisième, au lieu d’un « colis », c’est un homme qui se dresse devant moi et m’appuyant un pistolet sur la poitrine, me dit : « Vite le mot de passe. » Plus mort que vif, je lui réponds que je ne l’ai pas. Il ajoute : « Et Hubert ?» Je lui réponds : « Oui, Hubert est là. » « Bon ça va », dit-il en rengainant son arme.

Hubert nous rejoint, accompagné d’un second parachutiste. Courte discussion, une gorgée de whisky offerte par nos visiteurs pour nous remettre de nos émotions, et au travail. À noter que Hubert ignorait que ce parachutage d’armes était accompagné. 
Les parachutes sont roulés et cachés dans la forêt proche. Les lourds containers munis de poignées sont portés à quatre et dissimulés dans les taillis Le jour commence à poindre lorsque le dernier « colis » est transporté. Il en manque un qui n’a pu être découvert malgré les recherches effectuées les jours suivants. Je rentre à la maison et les quatre hommes passent la journée dans la forêt. Je leur apporte les repas de midi et du soir. Dès la tombée de la nuit, à l’aide d’un cheval attelé d’un tombereau, les premiers containers sont transportés dans un bâtiment à proximité de la ferme de « Beauvoisin », territoire de Bugnières, où ils sont cachés. Pour effectuer le transport de la totalité des containers, il faut trois nuits consécutives. Robert Devilliers et Georges Mathieu participent activement à ces transports. Au petit matin, Hubert, André le Suisse et les deux parachutistes reviennent dans ma chambre où ils se reposent.

Dès le lendemain du parachutage, au cours d’un entretien, l’un des parachutistes qui nous demande de l’appeler André, nous dit être américain. L’autre s’appelle Freddy et dit être anglais ; c’est le radio. Evidemment tous deux sont en civil. Ils s’expriment correctement en français, cependant Freddy a un léger accent. Le surlendemain du parachutage, Hubert m’apprend que le poste émetteur-récepteur est en bon état mais que la batterie destinée à l’alimenter a subi des détériorations et qu’elle est inutilisable, Il me charge de lui trouver d’urgence une batterie d’automobile. Celle-ci est fournie par Forgeot, de Marac. Le soir même Freddy entre en communication avec Londres depuis une baraque forestière, au lieu-dit « La Cave au Sabotier », entre Leffonds et Bugnières. C’est à cet endroit que le matériel radio est dissimulé. Pour chaque émission, une antenne filiaire est déployée. Un pistolet 11,43 avec munitions m’est remis pour effectuer mes différentes missions, ainsi qu’un petit poste récepteur à piles.
Après être restés une huitaine de jours à la maison, les quatre hommes s’installent dans ladite baraque. Ensuite ils construisent des cabanes en bois, recouvertes de feuillages, dans la forêt du Fays, toujours sur Leffonds. 
Le 7 juin, Hubert m’informe qu’il craint que le dépôt d'armes de la ferme de Beauvoisin ne soit découvert et qu’il envisage de le transférer dans une cave de l’ancienne ferme du « Haut-Mont » à environ 7 à 800 m du village de Leffonds. De la ferme en question, il ne reste plus à l’époque que quelques pans de murs, mais la cave, voûtée, constitue une excellente cachette. L’entrée est en partie dissimulée par une intense végétation. Il me demande de l’aider à effectuer ce déménagement, ce qui est fait le jour suivant, à l’aide d’un cheval et d’un tombereau. Trois voyages sont nécessaires par les layons forestiers.
Le 9 ou 10 juin (je ne peux préciser), je suis chargé par Hubert de servir de guide à un officier avec qui, lui et les deux parachutistes, doivent avoir un entretien. Il s’agit du colonel Michel (Emmanuel de Grouchy). Colonel grouchyJe rencontre cet officier, qui est seul, à l’entrée du village de Leffonds, et, à travers bois, je le conduis au lieu de réunion situé au lieu-dit « Combe Ogerey ». Je n’assiste pas à l’entretien, étant chargé de faire le guet avec André le Suisse. Environ deux heures plus tard, toujours à travers bois, je ramène cet officier au lieu-dit « Les carrières » où l’on doit venir le chercher.

A partir du 11 ou 12 juin, l’installation du maquis du Fays est en partie réalisée. L’effectif est un peu plus important. Trois noms me restent gravés dans la mémoire. Daniel et Raymond Gourlin et Claude Pénègre. Ce dernier devait être blessé à un genou le 16 juin 1944, par des Allemands qui étaient à la chasse ce jour-là ; il fut achevé par la suite.

Raymond Gourlin était fait prisonnier après avoir dissimulé ses armes, une mitraillette Sten et un pistolet 11,43, dans la baraque de « La Cave du Sabotier ». 
Ces armes devaient être retrouvées quelques mois plus tard dans ladite baraque par Michel Thivet et remises à la Gendarmerie d’Arc-en-Barrois. J’ai personnellement ravitaillé le maquis du Fays, avec deux autres habitants du village, Robert Devilliers et Georges Mathieu, jusqu’à son départ pour Voisines. Les armes et explosifs entreposés à la ferme du Haut- Mont ont été transportées à Voisines.
A l’entrée de l’hiver, quand la feuille fut tombée, j’ai retrouvé le 16° parachute qui portait un « colis » contenant un poste émetteur-récepteur qui a été remis à l’autorité militaire ».

Les membres du maquis de Leffonds

Claude Pénègre

Né le 11 mars 1924 à Limoges (Haute-Vienne), exécuté sommairement le 19 juin 1944 à Leffonds (Haute-Marne) ; ouvrier ajusteur ; résistant, membre du maquis de Voisines.

Célibataire, Claude Pénègre était ajusteur à l’usine Gnome et Rhône de Limoges. Il s’était engagé dans l’armée de l’air pour 4 ans le 19 mars 1942 ; il fut libéré à la fin de l’année lors de la dissolution de l’armée d’armistice après l’invasion de la zone libre par l’Allemagne.
Revenu à Limoges, il s’engagea dans la Résistance au sein du mouvement Libération en février 1943. Requis pour le STO il tenta d’y être réfractaire mais fut arrêté par la Gestapo le 26 avril 1944 à Limoges. Lors de son transfert vers Allemagne, il parvint à s’évader à Paris et se réfugia à Langres chez une amie. Il rejoignit peu après, au début juin 1944 le maquis de Bugnières – Leffonds (Haute-Marne). Ce maquis dirigé par Hubert Aubry était composé de jeunes maquisards encadrés par deux officiers américains parachutés. Le 16 juin 1944 le maquis à l’entraînement en forêt se heurta à un groupe de soldats allemands. Claude Pénègre fut blessé dans l’échange de tirs. Il fut achevé par l’officier allemand au lieu-dit Le Fays sur la commune de Leffonds, tandis qu’un de ses camarades, resté pour le secourir Raymond Gourlin, fut fait prisonnier et déporté au camp de Neuengamme (Kommando de Wilhemshaven).
Inhumé d’abord au cimetière du village de Bugnières, le corps de Claude Pénègre fut transféré après la Libération au cimetière de Louyat, à Limoges.
Il obtint la mention mort pour la France et son nom figure sur le monument aux morts de Bugnières, sur le monument commémoratif de Leffonds et sur le monument commémoratif de la Résistance au jardin d’Orsay à Limoges.

Le témoignage de Robert Devilliers

La mort de Claude Pénègre racontée par Robert Devilliers de Leffonds

Le 16 juin 1944, avec Georges Mathieu, nous devions ravitailler le maquis du Fays en eau. Le début d’après-midi à l’aide d’une voiture briarde tirée par un cheval, nous allions conduire trois tonneaux d’eau au maquis. Aux environs de 15 heures, alors que nous étions à proximité de la forêt, nous avons entendu des coups de feu. Nous avons malgré tout poursuivi notre chemin, et à l’orée du bois, nous avons trouvé un blessé qui avait une balle dans la cuisse. Allongé sur le sol, il perdait son sang en abondance et réclamait à boire. Nous avons reconnu un membre du maquis que nous connaissions sous le nom de Claude. Pendant que Georges Mathieu lui soulevait la tête je lui donne de l’eau. Il nous a dit « je suis foutu les gars ». Nous avons tenté de le transporter vers notre charrette, mais les allemands qui nous avaient repérés commençaient à tirer sur nous. C’est sous un feu intense que, la mort dans l’âme, nous avons été contraints de l’abandonner pour ne pas être massacrés à notre tour. Nous avons repris notre attelage et, après nous être débarrassés des tonneaux, nous avons rejoint le village au galop. Malgré nos craintes nous n’avons pas été inquiétés par la suite. Ce n’est que le lendemain que nous avons appris que Claude Pénègre avait été achevé par les allemands et sa dépouille transportée à Bugnières par les habitants de ce village.

Les lettres de témoignage 1984

Temoignage de marcel thivet 001

Temoignage de robert devilliers 001

Le maquis de Leffonds: Raymond Gourlin a vécu cet épisode et nous a tracé sa vérité.

Raymond Gourlin

1944 : Le 6 juin, les Alliés débarquent en Normandie. Nous avons l'ordre de prendre le Maquis. Le soir même, mon frère, Pierre DEMERLE, autre Policier, André GUIGNARD), agent de liaison et moi-même partons pour Leffonds (Haute Marne) où se trouve un maquis en constitution. Avant de partir, je dérobe les armes et les munitions en réserve au Commissariat. Nous marchons toute la nuit, traversant pâtures, bois, rivières pour arriver transits à Marac où nous sommes accueillis chez le Maréchal Ferrand. Après s'être restaurés, nous dormons dans le foin d'une grange. Le soir nous partons pour le maquis de Leffonds - Bugnières. Là, se trouvent le responsable Hubert AUBRY, un commandant américain "ANDRE", un radio canadien "FREDDY", un suisse "ANDRE" et un homme d'une cinquantaine d'années. Dans la semaine, un nouvel arrivant Claude PENEGRE de Limoges. L'Américain, le Canadien et le Suisse parlent parfaitement le français. Le Suisse est arrivé avec Hubert AUBRY venant de Savoie. L’Américain et le Canadien ont été parachutés dans la nuit du 1° au 2 juin. Nous faisons du maniement d'armes, d'explosifs et quelques missions de nuit. Nous sommes ravitaillés en nourriture par Lucie, la sœur de Hubert qui demeure à Leffonds. Lucie est une femme courageuse, mère de deux jeunes enfants, le mari prisonnier de guerre, elle sait ce qu'elle risque si elle est dénoncée ou découverte.
Le 16 juin : Hubert, Claude, Pierre et moi-même partons à la rencontre de la corvée d'eau potable qui vient de Leffonds. Surprise, ce sont les Allemands qui arrivent. Retour rapide au camp, retrait des maquisards, dont mon frère, et nous quatre, précédemment nommés, protégeons leur retraite. (Nous avions ordre d'éviter le combat pour garder nos forces le moment venu). Au cours de l'engagement, Claude est blessé au genou droit je crois. Je l'adosse à un arbre, lui fais un garrot avec chargeur vide de " Stern” (mitraillettes anglaises parachutées) et vais chercher du secours au village. Je cache ma Stern et mon colt dans une baraque de berger. A Leffonds je m'adresse dans une ferme que je connais, mais personne ne veut se déplacer et me chasse. Je repars chercher Claude, mais les Allemands l'ont découvert et m'encerclent au moment où j'arrive. J'ai juste le temps de laisser glisser le long de ma jambe le pistolet que j'avais conservé. Malheureusement j’ai mon poignard à la ceinture. Je suis pris au piège et attaché à un arbre avec 4 ou 5 soldats qui me mettent en joue avec leurs armes. À ce moment, un officier donne un ordre et je suis emmené à leurs camions. C'est à mi-chemin qu'ils basculent Claude (ils l'avaient mis sur un chariot réquisitionné à Bugnières), et l'abattent froidement devant moi d'une balle dans la tête. Le reste des maquisards est passé au travers. Je suis amené à la Feldgendarmerie (police militaire allemande) de Chaumont et enfermé, menotté dans le dos, dans un cachot où il n'est pas possible de s'asseoir. Dans la nuit je réussis quand même à passer mes bras devant. Le lendemain matin, donc le 17 juin, la Gestapo est là et m'emmène pour interrogatoire. Aussi violent qu'il puisse l'être - coups de cravache à la figure, nerf de bœuf sur la tête et le corps - J'essaye de me protéger, ils cassent ma montre et je perds des dents. Je ne dis rien, sinon que j'étais parti pour ramasser des escargots. Nouveau déluge de coups. Je pense à mon frère ou est-il ? sait-il que je suis prisonnier ? Si je parle, c'est le village de Marac et de Leffonds qu'ils détruisent. Le repli du maquis je ne le connais pas. Dans les affaires qu'ils ont récupérées au Maquis, je remarque la carte de Police de Pierre DEMERLE. En ce qui me concerne, ils n'ont rien ni sur mon frère. Je décline ma véritable identité et déclare habiter à Troyes (Aube) certifiant que je ne connais personne dans ce maquis.

Raymond Gourlin a été fait prisonnier le 16 juin 1944, en passant par la prison allemande de Langres, d'où il a été déporté au camp de Neuengamme (Kommando de Wilhemshaven) en Allemagne. Il a été libéré le 19 juin 1945.

Date de dernière mise à jour : 04/03/2024

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