Leffonds

Notre Dame de la Bonne Garde veille sur Leffonds et Villiers-sur-Suize

Notre Dame de la Bonne Garde veille sur Leffonds et Villiers-sur-Suize

Depuis la fin de la Première guerre mondiale, une chapelle sur son piédestal veille sur les villages de Leffonds et Villiers-Sur-Suize. Elle est la marque de gratitude des habitants, alors que l’invasion allemande menaçais la Haute-Marne en 1914.

Depuis la Grande Guerre (1914-1918), une toute petite chapelle, formant un imposant piédestal, sur lequel se dresse l’image accueillante de la Vierge Immaculée, domine la charmante vallée de la Suize, entre Villiers-sur Suize et Leffonds. Pourquoi une vierge, une chapelle sur cette élévation, en bordure de la route qui sépare les deux villages, à douze et quinze cents mètres de toute habitation ?

En 1928, l’abbé Damas, curé de Villiers-sur-Suize, a consigné dans une brochure, une page des plus touchantes, des plus tragiques de son histoire locale. Ce document à vocation historique relate toute l’histoire de cette chapelle.

Septembre 1914 : les Allemands aux portes de la Haute-Marne

Un matin du 5 septembre 1914, alors que la guerre sévit déjà depuis cinq longues semaines et que les armées battent en retraite, les habitants des campagnes n’ont aucune information. La route de Paris est ouverte. Le gouvernement s’attend à ce que la capitale soit détruite, incendiée, puisqu’il a fui, et gagné Bordeaux. Les journaux rassurant laissent entendre que ce sont là des mesures de précaution et qu’il convient de ne pas s’émouvoir.

Il est 11 heures du matin, ce samedi 5 septembre 1914. Le curé de Villiers-sur-Suize croise sur le pont de ce village, des officiers de la garnison de Langres. L’un deux saluant poliment s’avance : « un service à rendre à vos paroissiens, monsieur le Curé, ce serait peut-être de les avertir de l’imminent danger… C’est la vraie bataille. Tout le nord de la France est envahi. Les Allemands sont à Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François, et nos troupes sont à Saint-Dizier, Joinville. C’est la reculade précipitée. Si rien n’arrête la ruée allemande, d’ici quelques jours, l’ennemi sera chez vous. On ne dit rien pour ne pas affoler les populations. C’est l’invasion à bref délai. En vous avertissant, nous avons conscience de vous rendre service, car si vous avez quelques bons conseils à donner à vos paroissiens, dans huit jours vous ne serez plus libre. Au pied de votre chaire vous aurez les Allemands ».

Ces graves révélations font peser de lourdes responsabilités sur les épaules du prêtre. Il en garda le secret toute la soirée. Ce fut pour lui une obsession qui a tenu son esprit en éveil toute la nuit du samedi au dimanche.

Trois mille francs pour le monument

Le lendemain, lors de la messe dominicale, alors qu’il est en chaire, la grave nouvelle est annoncée et c’est la stupeur parmi la population. C’est alors qu’après la prière il fit une proposition, une inspiration saisie dans la nuit : « Seriez-vous d’avis, mes frères, que dans une imploration publique et solennelle, en votre nom et au mien, je confie à la Très Sainte Vierge la région, et tout spécialement les paroisses de Villiers-sur-Suize et Leffonds sous sa protection, en nous obligeant par vœu à lui élever après la guerre, un ex-voto de reconnaissance, entre les deux communes, sur la hauteur de la Thrace. Le monument serait surmonté d’une statue de la Vierge, visage tourné vers Chaumont, c’est-à-dire dans la direction du nord-est, d’où vient l’ennemi. ».

Une somme de 3 000 francs (ce qui correspondrait grosso modo à 10 000 euros actuels) est fixée pour édifier ce monument. Le vœu en question est conditionné ; si l’ennemi est arrêté, l’engagement est pris de faire bâtir après les hostilités, dans le cas contraire, si la population est victime de l’invasion, la promesse devient caduque.

Les familles ont alors 48 heures pour faire savoir la somme que chacune promet à cette souscription et le mardi 8 septembre la somme fixée était largement dépassée. Ce même  jour de la messe de la Nativité, et par vœu, les deux communes s’obligent à ériger un monument à Marie entre Villiers et Leffonds, sur la hauteur de la Thrace, si la Très sainte Vierge, par sa puissante intercession, préserve les deux villages des malheurs de l’invasion.

En regagnant son domicile l’abbé Damas fit une providentielle rencontre. « Vous avez l’intention, monsieur le curé, d’élever un monument à la Sainte Vierge, sur la Thrace ? Eh bien, à l’endroit désigné, je suis propriétaire d’un champ. S’il vous convient, avec plaisir je le mets à votre disposition ; je vous le donne ». Etait-ce une réponse de la Vierge ?  Le 8 septembre est devenu une grande date religieuse, celle de la Nativité de la Vierge.

Le 11 novembre 1918 les clochers de France annonceront la fin heureuse des hostilités. En 1921 trois ans après la Grande guerre, la condition du vœu est réalisée. Le devoir était de tenir cette promesse et de s’en acquitter sans tarder. Les souscriptions furent versées généralement avec de gros intérêts composés qui doublaient voire triplaient la somme promise.

Les agriculteurs à la rescousse

Cependant la hausse de la matière première et la main-d’œuvre, la dévaluation de la monnaie suite à la Première guerre mondiale, ainsi que le choix d’une chapelle comme piédestal pour recevoir la Vierge ne permettait pas le financement de l’engagement. La somme réunie était manifestement insuffisante.

C’est alors qu’au sacrifice d’argent le curé Demas demanda d’en ajouter un autre. Voici en quelques termes, le dimanche 7 août : « Cultivateurs, j’ai besoin de vos services. Après avoir bâti, déchiré et rebâti bien des plans, après avoir interrogé les compétences en matière de constructions ; tout calculé, je suis loin d’avoir réuni la somme nécessaire à l’exécution du plan définitif du monument votif à élever à la Sainte Vierge. Alors est-ce que vous voudriez à titre gracieux, me transporter là-haut tous les matériaux ? Voudriez-vous m’amener et rapidement sur la Thrace : pierre, sable, chaux, ciment, et, chaque jour, l’eau nécessaire ?… C’est pour la Sainte Vierge, qui a si bien protégé vos champs, vos maisons, vos récoltes, que vous allez travailler. Je compte sur vous ! ».

L’affaire fut comprise, le mot d’ordre entendu. Environ 150 voitures, dimanche 7 août 1921, allant jusqu’à 5, 8, et 9 kilomètres quérir les matériaux, ont gravi la colline pendant cinq semaines avec une bonne volonté, un contentement dignes d’admiration.

Mardi 16 août, trois ouvriers, puis cinq font surgir de terre le bâtiment, qui s’élève avec une rapidité surprenante. On le contemple déjà des hauteurs de Leffonds et de la vallée de la Suize. De jour en jour ses proportions deviennent plus imposantes.

Un grand concours de peuple pour la bénédiction

Le vendredi 16 septembre, la petite chapelle est maintenant debout sur la colline. C’est l’heure de son couronnement qui attend d’être mis en place. C’est une magnifique Vierge, en métal bronzé. Elle vient des ateliers du Val-d’Osne. Son poids avoisine les 500 kg et sa hauteur est de 2,20 m.

Il s’agit de la transporter de Villiers-sur-Suize sur la colline, puis de la hisser sur son piédestal de pierre. Et c’est à 2 heures de l’après-midi que les ouvriers, à l’aide de moufles puissantes, saisirent le lourd métal bronzé. Minute poignante !…

A la vue de la Vierge, quittant doucement son char pour s’élever dans les airs, les cœurs battaient d’émotion et de joie. La foule entonna un Magnificat de reconnaissance.

La date du 25 septembre fut choisie pour l’inauguration et la bénédiction. Cette fête fut présidée par le chanoine Lindecker, vicaire général, avec la participation de la chorale de Saint-Jean de Chaumont. L’orateur du matin fut l’abbé Faivre, curé d’Eurville.

Grande le matin, la foule à 15 heures fut encore plus nombreuse, environ 1 000 personnes. Après une prise de paroles du vicaire, c’est l’abbé Damas qui clôt cette pieuse fête de la reconnaissance.

Durant de nombreuses années, depuis 1921, les deux paroisses n’ont pas manqué de remonter la colline en procession, une coutume qui a cessé avec le temps et que les villageois ont voulu renouveler le 9 septembre 2017 en célébrant le centième anniversaire du vœu de l’abbé Damas. Pour cette occasion les lieux ont été nettoyés, la porte de la chapelle repeinte ainsi que la Vierge Marie.

D’après La chapelle de Notre-Dame de la Bonne-Garde, vécue et racontée en 1928 par E. Damas, curé de Villiers-sur-Suize

ChapelledocxChapelledocx (13.31 Mo)

Date de dernière mise à jour : 24/02/2024

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire